Un jour, je devais juste passer chez ma médecin pour un certificat médical.
Premier problème, ma doc habituelle n’est pas là. Je suis assez habitué, c’est une médecin formatrice et très souvent c’est un de ses internes qui s’occupe des patients. Je suis tout à fait pour la formation des internes en vraies conditions de terrain. Sauf que, là, la condition de terrain c’était moi… et clairement, l’interne, elle était pas prête à ça.
Bon, j’arrive. Salle d’attente. Elle me fait rentrer. Jusqu’ici, tout va bien.
Bon déjà son niveau de stress ferait passer un écureuil pour un maitre zen. Je pense que ça devait être une de ses premières consult’. C’est ça ou elle accueille ses patients après un rail de coke et un café. Je n’ai pas vu de miettes de spéculos ni de paille trainer dans le cabinet, je vais opter pour l’écureuil.
C’est donc complètement speed qu’elle commence à me demander ce qui ne va pas. Et j’ai tout de suite senti que ma réponse « Nan, nan, mais tout va bien » n’était pas ce qu’elle attendait. Je dois être le 3ᵉ patient de toute sa vie et déjà j’avais l’impression de faire dérailler le petit train de sa vie (j’aime les métaphores ferroviaires). Seulement, voilà, je vais pas attendre d’avoir 39°C de fièvre pour aller demander un certificat pour pouvoir faire du sport. Je lui explique que je fais de la capoeira et que j’ai besoin d’un certificat pour pratiquer : son niveau de stress augmente sensiblement au mot “capoeira” et, je crois, qu’une veine sur sa tempe se rompt au mot “certificat”.
Clairement, elle n’était pas prête.
Alors il doit y avoir un truc pendant les études de médecine où on traumatise les futurs médecins avec le concept d’antécédents médicaux. Donc j’étais bon pour un interrogatoire complet, un prélèvement de peau, de sang, de larme… ce que vous voulez pourvu que la pauvre arrête de dévorer son crayon comme un castor affamé !
Après quelques questions de routine, elle commence à regarder mes yeux avec la lumière, vous savez le machin pour vérifier si nos pupilles réagissent. Et là, elle me fait « Ah c’est étrange, vos pupilles réagissent AVANT que je mette la lumière ! ». Et moi je lui réponds juste « Bah oui ! Je savais que vous alliez me mettre la lumière dans l’œil alors j’ai contracté ma pupille avant, histoire de ne pas en prendre plein la gueule. » Apparemment, les pupilles, c’est juste des machins réflexes, on n’est pas censé les contrôler “volontairement”1. Ce genre de réponse c’est pas bon pour la pression artérielle, en tout cas pas pour notre médecin écureuil accro à la caféine.
Et là, elle a vu que j’avais une cicatrice à l’œil. Elle tenait enfin un truc simple à me demander…
« Je note une marque de trauma sur votre œil droit…
— Ah oui, je me suis planté le pouce dans l’œil au lycée
— …
— Je tiens à préciser que ce n’était pas volontaire. J’ai glissé.
— Sur votre œil ?
— Sur un cheval…
— Ah… l’équitation, c’est toujours une source de…
— …d’arçon
— ??? Une source d’arçon ???
— Non un cheval d’arçon. Niveau équitation, c’est un peu limité. Mais l’animal est très calme. »
S’en suit une explication, confuse, je vous l’accorde, de comment je suis tombé pendant un équilibre sur le cheval d’arçon, car la personne qui m’assurait a sursauté et que ça m’a fait peur. Bref bilan : ne tombez pas la tête la première sur votre propre pouce, ça picote. Et ça saigne, mais pas tant que ça. Moi j’ai perdu un bout de globe oculaire dans l’affaire, mais pas de vision. Ce qui restera toujours mystérieux pour moi… et pour l’écureuil.
Clairement, elle n’était pas prête.
« Avez-vous déjà eu des blessures ou des points de suture ?
— — Oui, 36 à la tête.
— Qu’est-ce que… what ? »
J’ai commencé assez jeune, avec une tentative plus ou moins volontaire de briser un bloc de béton avec la tête (le béton a gagné… je pense que c’est un complot de Bouygues !).
Je continue à lui décrire mes différents points de suture… mais je sens déjà que l’écureuil est resté un peu bloquée sur le concept de “tentative de casser un bloc de béton avec la tête”.
Je l’ignore et je continue… j’évoque mon utilisation d’une agrafeuse couteuse sur ma propre main lorsque j’avais 4 ans et le fait que j’ai enlevé l’agrafe de ma main avec les dents « Ah oui ! Mes parents avaient dit que je ne devais pas y toucher ! ».
Là clairement j’ai failli la perdre. Mais les obligations de son métier l’ont sauvée : le questionnaire n’était pas fini et elle a pu changer de sujet.
« Est-ce que vous avez eu des fractures aussi ?
— — Oh oui ! Une à une cervicale… une grosse à la colonne… une bonne dizaine aux orteils… 2 ou 3 aux doigts. »
Mon enthousiasme me sembla peu communicatif.
Clairement, elle n’était pas prête.
Je crois que là le petit écureuil a totalement perdu ses mots. J’ai donc essayé de combler le silence gêné, paniqué en donnant quelques détails.
Je me suis fracturé une cervicale en sautant devant ma propre planche à voile à pleine vitesse. L’idée n’était pas conne, au départ (si si je vous jure !). Une nana qui faisait de la planche au même cours que moi avait raté une manœuvre près du bord de l’étang et était en train de se casser la gueule. Sauf que, là où elle tombait, il y avait, bien visible pour moi, mais pas pour elle, un énorme tesson de bouteille. J’étais vraiment juste derrière sa planche. J’ai donc sauté pour dévier sa chute (👈 j’avais bien dit que “au départ” c’était une bonne idée). Bon apparemment mon cerveau est meilleur en calcul de trajectoire de jeune fille qu’en trajectoire de planche à voile : j’ai parfaitement rattrapé la choupette juste avant de recevoir ma propre planche à pleine vitesse dans la nuque.
Petit écureuil demande si je n’ai pas eu de séquelles. « Nan. Pas particulièrement, mais mon coup fait un peu “cloc cloc” depuis. »
Clairement, elle n’était pas prête.
Pour la colonne là c’est un virage en roller négocié “imparfaitement” qui a eu raison de moi. Il y a eu un lampadaire d’impliqué, mais je ne l’ai absolument pas touché : arrivant un peu vite en bas de descente, j’ai tourné vers une petite place où j’aurais l’opportunité de freiner comme il faut. Une fois encore l’idée était bonne, mais la réalisation a laissé à désirer : ma trajectoire s’est trouvée fortement perturbée par la présence inopinée d’un lampadaire. Vous savez les vieux modèles parisiens bien large et recouvert de cette peinture un peu vert sale, mais surtout qui semble contenir plus de sable que de pigment… ça donne cette jolie texture “papier de verre industriel”. En termes de partenaire de collision, ça se situe entre la ponceuse et le semi-remorque. J’ai donc eu la présence d’esprit d’éviter l’obstacle. C’est juste mon choix de stratégie qui peut laisser à désirer : j’ai sauté. C’est con, car le lampadaire faisait bien 6~8 mètres de haut. Me rendant compte de mon erreur d’approche j’ai immédiatement mis en place les contremesures adéquates : j’ai décidé d’enrouler mon corps autour du machin, histoire de ne pas le toucher. Je me suis dit « en l’air, ça doit passer ». Eh ben, vous savez quoi ? Ça a marché !
…bon, par contre, j’avais été un peu enthousiaste au moment de sauter : me voilà donc “enroulé autour d’un lampadaire” à l’horizontale (et sans toucher le lampadaire !), mais à, en gros, 1m20 du sol. La loi de la gravitation universelle, tout comme le trottoir, est dure. Je suis tombé bien à plat sur le dos. Crac.
Un passant a dit « À la piscine, un plat comme ça, pfff ça fait hyper mal ! ». Sur un trottoir aussi.
Elle n’était pas prête…
…mais elle demanda quand même « Et les orteils, les doigts… tout ça ? »
« Oh ! Ça, c’est surtout à la capoeira…
— — …la quoi ?
— L’art martial brésilien pour lequel je vous demande un certificat !
— Ah oui…
— Et, des fois, on joue avec des bâtons et c’est là qu’il m’arrive de me fracturer un doigt ou deux. »
Bon là j’ai senti que je devais la rassurer, car elle commençait à me regarder comme un genre de zombie. Mais je pense que je n’ai pas trouvé les bons mots :
« J’ai arrêté le boomerang (10 points de suture)2, l’ultimate frisbee (8 points de suture), le roller et de me faire mordre par des filles trop grandes et avec un appareil dentaire (5 points de suture)3
— Vous êtes conscient que le problème ne semble pas être les sports, mais plutôt vous ? »
Petit écureuil : « Vous semblez avoir assez peu de respect pour votre propre intégrité physique… »
Moi : «…je préfère le terme d’aventurier… mais je vous laisse le formuler comme vous voulez.»
Elle a ri… beaucoup.
Clairement, elle était pas prête.
Bon depuis, dans mon dossier il y a marqué que je suis un “aventurier”. Ça m’a valu pas mal de questions des internes suivants…
Crédits photo
- Miniature avec le gars qui se fait sauter dessus par un vélo photo par Alexander Schimmeck sur Unsplash
- Photos du festival par Thierry et Jérôme pour StartingBlock
- Tous les gifs issus de tenor.com selon leurs conditions d’utilisation
Notes de bas de page
C’est ce jour-là que j’ai appris que les autres gens ne pouvaient pas dilater ou contracter leurs pupilles à volonté. Ou, en tout cas, c’est très rare. On en apprend des choses quand même des fois…↩︎
On ne se rend pas compte comme c’est dur de rattraper un de ces merdiers volant avec les dents. Ça implique pas mal d’échecs avant d’y arriver… alors j’ai beaucoup bossé les échecs…↩︎
Techniquement, on jouait au frisbee, elle a voulu attraper le frisbee avant moi. Ça aurait été une meilleure idée si elle avait eu une bonne évaluation des distances. Elle a sauté trop haut et trop tôt et moi… bah… moins haut et au bon moment. Brillant ? Non. J’avais négligé sa trajectoire à elle dans mon calcul balistique de haute volée. J’ai donc eu le frisbee et les incisives d’une jeune fille de 16 ans. Le premier dans la main, les secondes dans l’arcade sourcilière. Saviez-vous que l’arcade sourcilière saigne beaucoup ? Moi, oui. Elle, non. Elle a choisi de fêter cette découverte en tombant dans les pommes.↩︎