Les tontons veulent me flinguer

AEGIS - Agitateur Étudiant Gauchiste Improbable et Subversif

Quand je suis devenu un leader étudiant sans le savoir
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Auteur·rice

PYM

Date de publication

6 août 2021

Modifié

12 mai 2023

Il y a bien bien longtemps dans une galaxie très lointaine, je travaillais pour une bibliothèque universitaire. Forcément ces bêtes-là c’est plutôt en plein milieu des facs… en l’occurrence là c’était le campus de Paris Rive Gauche.

Ma mémoire défaillante

J’avais donc été au boulot tranquillou dans ce joli quartier tout plein d’étudiants. D’étudiants en colère (c’est important !), car… ah ! Merde je ne sais plus pourquoi… en même temps, chaque réforme du lycée, de l’université ou du marché du travail rend les étudiants plus précaires, donc ils avaient une raison légitime d’être de mauvaise humeur et de manifester.

Rhaaaa, mais quand même c’était quoi ? La réforme du bac… nan le CPE… nan… c’était vers 2016… l’autonomie des universités !! Ouais, ça pourrait être ça… Bon, enfin bref, au final, ils disaient :

Travailleurs, travailleuses, on vous ment, on vous spolie, le grand capital vous exploite !

Mais bon, je ne bossais pas trop loin de la grosse Avenue de France (où se passent toutes les manifs), mais mon boulot ne donnait pas directement dessus même donc ça ne m’impactait pas des masses. J’ai bossé toute la journée, beaucoup. D’ailleurs, j’ai oublié de faire ma pause gouter avec les potes du bureau d’à côté qui m’ont juste déposé un papier “social traitre” sur mon bureau pour marquer leur désapprobation de cet abandon.

Mais ça reste des gens sympas : ils m’ont quand même déposé une banane avec le petit mot d’amour.

Ils avaient, aussi, écrit « social traitre » sur la banane d’ailleurs.

Et la manif dans tout ça ?

Pendant la journée, c’était quand même cool, car on avait le son et lumière grâce à la manif : corne de brume, fumigènes, flash bang et musique de Manu Chao… ça, c’est des conditions de travail que je kife. Ça fait cliché… mais ça reste un classique de manif ma bonne dame !

Mais, même avec de super conditions, des collègues géniaux et une énoooorme envie de programmer en se coupant du monde… à un moment il faut finir par partir. Donc vers 18 h, je décolle. Un pote me dit « Fais attention, il reste 2~3 radicaux qui jouent à cachecache avec les CRS. » Je l’ignore.

Je n’aurais pas dû.

Bon bah… dehors c’est le calme plat : plus de manif, des cerisiers en fleurs et, je ne sais pas si vous le savez, mais le coucher de soleil sur les nuages de lacrymo qui se dissipent lentement c’est super beau.

<instant poétique>

Je décide donc de prendre la grande avenue de France à pied vu que les transports étaient encore coupés. Comme il n’y a plus de manif, les flics me laisseront bien passer au pire…

…vous sentez ma naïveté ?

Je m’attendais bien à voir deux ou trois mecs se balader avec une 86 dans une main et l’autre occuper à attraper leur entrejambe en gueulant “mort aux flics” (oui, je reste dans les classiques). Mais nan. Rien. La rue est vide comme celle d’un western spaghetti avant un duel.

Personne normale : hmmm… c’est louche…
Moi : Ah cool ! Je serai rentré plus tôt !

J’ai toute l’avenue à traverser, il n’y a personne, pas de bagnole rien alors je marche au milieu tranquillou… et là, je vois les nuages de lacrymo (poétiques, je le rappelle) se lever devant moi… et là je remarque qu’ils cachaient en fait une compagnie entière de CRS qui barraient entièrement l’avenue.

J’ajouterais bien qu’ils avaient l’air patibulaires… mais apparemment, en “armure RoboCop”, je pense que même Elsa de la Reine de Neige aurait l’air patibulaire.

Nan, mais c’est bon tout va bien se passer

Follow the leader

Moi je suis assez simple, je #stickToThePlan quelque soit les circonstances. J’aurais fait un excellent lemming. Je continue donc à m’approcher et j’entends « Merde ! Ya un leader qui s’approche ».

??? 😶 What the…

Là, un gradé sort du rang et s’adresse à moi avec un mégaphone, outil profondément inutile vu la distance… j’avais réussi à entendre les loulous discuter entre eux : « Reculez et approchez-vous les mains sur la tête »

J’ai l’impression qu’il essaye de me dire quelque chose…

Je dois reculer ou avancer… et si je recule dois-je mettre les mains sur la tête ? Clairement, l’injonction n’avait grammaticalement pas été suffisamment préparée. J’eus, pour une fois, la présence d’esprit de ne pas faire cette remarque à mon interlocuteur. C’est rare chez moi. Vous pourriez le noter.

Bon, ce que j’ai fait et répondu n’était pas pour autant plus intelligent : « Hein ?! C’est à moi que vous parlez ?»

…ai-je précisé que j’étais la seule personne à 200m à la ronde ? Oui… ah bah, alors, vous me prenez déjà pour un con donc ça va.

Le problème c’est qu’en répondant j’avais avancé. A-van-cé. (sans mettre les mains sur la tête évidemment)

Le gars au mégaphone a reculé dans le rang qui a - comme une belle légion romaine - levé les boucliers bien en simultané. C’était beau comme une bouche de requin qui se referme sur une licorne 🦈🦄

C’est beau

Tout s’emballe

Et là, tout s’emballe très très vite. Déjà, les gars m’encerclent… enfin pas tous les gars, un petit groupe de la légion romaine qui me faisait face. Par le trou dans les rangs, je vois que derrière il y a des flics en civil qui n’ont pas l’air super à l’aise. Ensuite, on me demande d’écarter les jambes et de mettre lentement les mains sur la tête. Et là commence un genre d’interrogatoire…

Petite note : j’ai fait plein de manif et, avec ma veine, forcément, je me suis fait arrêter, taper (par les forces de l’ordre, des extrémistes… d’un bord ou l’autre d’ailleurs) et fouiller plein de fois… littéralement, je n’ai jamais vu le truc se passer comme ça. Généralement, on te fout par terre, on te fouille rarement tout de suite et on ne pose pas des masses de questions… là, j’étais tout décontenancé.

« Z’avez des revendications ? »
« Vous êtes avec qui ? »
« Avant de vous fouiller, avez-vous des objets dangereux dans vos poches ? Couteaux ? Poinçon ? Ou des substances illicites ? »

Bon OK la dernière question m’a un peu rassurée celle-là je l’ai eue mille fois ! Ça tient à peu de chose la confiance en soi !

Et là, ça part en couille, mais vraiment vraiment :

« Il a un fliiiiiiiiiiiiiiiiingue ! »

Moi, à ce moment-là

Tout le groupe a reculé en une seconde, les masques se sont baissés et un nombra assez important d’arme à feu a été pointé sur moi.

« Sortez l’arme de votre poche, monsieur. Lentement. »

Quand on t’appelle “monsieur” et ben tu obéis. Quand on pointe une vingtaine de guns sur toi aussi, remarque… mais moi j’ai juste remarqué qu’il m’appelait “monsieur”. Je m’exécute donc : avec toute la précaution du monde, je descends lentement une seule main vers ma poche avant gauche. Et avec mille précautions et deux doigts, je sors encore plus lentement…

…une banane…

…avec marqué “social traitre” dessus.

<La scène qui suit est authentique et restera la plus débile référence cinématographique de l’histoire>

La réponse du flic : « Mais c’est quoi ça ? »
Moi : « Je vous préviens qu’on a la puissance de feu d’un croiseur, et des flingues de concours. »
Le chef des CRS (le gars du mégaphone) : « Si ces messieurs veulent bien me les confier… »

C’est à ce moment précis qu’une bonne vingtaine de CRS a littéralement éclaté de rire (et les flics derrière en pouvaient plus).

La tension est retombée. Les gars ont quand même fini leur fouille corporelle (ça doit être le règlement, je suppose). Et pendant ce temps, ils ont reçu l’ordre de rentrer. Donc le temps que mon affaire se termine, ils étaient en train de remballer.

Épilogue

Une bande de CRS dont le chef sont venus me demander un selfie juste après pour leur famille « Parce que sinon on ne les croirait pas » j’ai dit oui. Je suis parti. Évidemment, j’aurais pu demander le selfie… évidemment, j’ai oublié.

Mais dis donc, on n’est tout de même pas venus pour beurrer les sandwichs!

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